inali
Nombre de messages : 42 Localisation : Rabat/Maroc Date d'inscription : 30/05/2006
| Sujet: Fables de J.Fontaine (Livre-III) Mer 31 Mai - 14:23 | |
| Le Meunier, son Fils, et l'Ane
L'invention des Arts étant un droit d'aînesse, Nous devons l'Apologue à l'ancienne Grèce. Mais ce champ ne se peut tellement moissonner Que les derniers venus n'y trouvent à glaner. La feinte est un pays plein de terres désertes. Tous les jours nos Auteurs y font des découvertes. Je t'en veux dire un trait assez bien inventé ; Autrefois à Racan Malherbe l'a conté. Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa Lyre, Disciples d'Apollon, nos Maîtres, pour mieux dire, Se rencontrant un jour tout seuls et sans témoins (Comme ils se confiaient leurs pensers et leurs soins), Racan commence ainsi : Dites-moi, je vous prie, Vous qui devez savoir les choses de la vie, Qui par tous ses degrés avez déjà passé, Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé, A quoi me résoudrai-je ? Il est temps que j'y pense. Vous connaissez mon bien, mon talent, ma naissance. Dois-je dans la Province établir mon séjour, Prendre emploi dans l'Armée, ou bien charge à la Cour ? Tout au monde est mêlé d'amertume et de charmes. La guerre a ses douceurs, l'Hymen a ses alarmes. Si je suivais mon goût, je saurais où buter ; Mais j'ai les miens, la cour, le peuple à contenter. Malherbe là-dessus : Contenter tout le monde ! Ecoutez ce récit avant que je réponde.
J'ai lu dans quelque endroit qu'un Meunier et son fils, L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits, Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire, Allaient vendre leur Ane, un certain jour de foire. Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit, On lui lia les pieds, on vous le suspendit ; Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre. Pauvres gens, idiots, couple ignorant et rustre. Le premier qui les vit de rire s'éclata. Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là ? Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense. Le Meunier à ces mots connaît son ignorance ; Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler. L'Ane, qui goûtait fort l'autre façon d'aller, Se plaint en son patois. Le Meunier n'en a cure. Il fait monter son fils, il suit, et d'aventure Passent trois bons Marchands. Cet objet leur déplut. Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put : Oh là ! oh ! descendez, que l'on ne vous le dise, Jeune homme, qui menez Laquais à barbe grise. C'était à vous de suivre, au vieillard de monter. - Messieurs, dit le Meunier, il vous faut contenter. L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte, Quand trois filles passant, l'une dit : C'est grand'honte Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils, Tandis que ce nigaud, comme un Evêque assis, Fait le veau sur son Ane, et pense être bien sage. - Il n'est, dit le Meunier, plus de Veaux à mon âge : Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez. Après maints quolibets coup sur coup renvoyés, L'homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe. Au bout de trente pas, une troisième troupe Trouve encore à gloser. L'un dit : Ces gens sont fous, Le Baudet n'en peut plus ; il mourra sous leurs coups. Hé quoi ! charger ainsi cette pauvre bourrique ! N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique ? Sans doute qu'à la Foire ils vont vendre sa peau. - Parbleu, dit le Meunier, est bien fou du cerveau Qui prétend contenter tout le monde et son père. Essayons toutefois, si par quelque manière Nous en viendrons à bout. Ils descendent tous deux. L'Ane, se prélassant, marche seul devant eux. Un quidam les rencontre, et dit : Est-ce la mode Que Baudet aille à l'aise, et Meunier s'incommode ? Qui de l'âne ou du maître est fais pour se lasser ? Je conseille à ces gens de le faire enchâsser. Ils usent leurs souliers, et conservent leur Ane. Nicolas au rebours, car, quand il va voir Jeanne, Il monte sur sa bête ; et la chanson le dit. Beau trio de Baudets ! Le Meunier repartit : Je suis Ane, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue ; Mais que dorénavant on me blâme, on me loue ; Qu'on dise quelque chose ou qu'on ne dise rien ; J'en veux faire à ma tête. Il le fit, et fit bien.
Quant à vous, suivez Mars, ou l'Amour, ou le Prince ; Allez, venez, courez ; demeurez en Province ; Prenez femme, Abbaye, Emploi, Gouvernement : Les gens en parleront, n'en doutez nullement.
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Les Membres et l'Estomac
Je devais par la Royauté Avoir commencé mon Ouvrage. A la voir d'un certain côté, Messer Gaster en est l'image. S'il a quelque besoin, tout le corps s'en ressent. De travailler pour lui les membres se lassant, Chacun d'eux résolut de vivre en Gentilhomme, Sans rien faire, alléguant l'exemple de Gaster. Il faudrait, disaient-ils, sans nous qu'il vécût d'air. Nous suons, nous peinons, comme bêtes de somme. Et pour qui ? Pour lui seul ; nous n'en profitons pas : Notre soin n'aboutit qu'à fournir ses repas. Chommons, c'est un métier qu'il veut nous faire apprendre. Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre, Les bras d'agir, les jambes de marcher. Tous dirent à Gaster qu'il en allât chercher. Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent. Bientôt les pauvres gens tombèrent en langueur ; Il ne se forma plus de nouveau sang au coeur : Chaque membre en souffrit, les forces se perdirent. Par ce moyen, les mutins virent Que celui qu'ils croyaient oisif et paresseux, A l'intérêt commun contribuait plus qu'eux. Ceci peut s'appliquer à la grandeur Royale. Elle reçoit et donne, et la chose est égale. Tout travaille pour elle, et réciproquement Tout tire d'elle l'aliment. Elle fait subsister l'artisan de ses peines, Enrichit le Marchand, gage le Magistrat, Maintient le Laboureur, donne paie au soldat, Distribue en cent lieux ses grâces souveraines, Entretient seule tout l'Etat. Ménénius le sut bien dire. La Commune s'allait séparer du Sénat. Les mécontents disaient qu'il avait tout l'Empire, Le pouvoir, les trésors, l'honneur, la dignité ; Au lieu que tout le mal était de leur côté, Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre. Le peuple hors des murs était déjà posté, La plupart s'en allaient chercher une autre terre, Quand Ménénius leur fit voir Qu'ils étaient aux membres semblables, Et par cet apologue, insigne entre les Fables, Les ramena dans leur devoir.
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Le Loup devenu Berger
Un Loup qui commençait d'avoir petite part Aux Brebis de son voisinage, Crut qu'il fallait s'aider de la peau du Renard Et faire un nouveau personnage. Il s'habille en Berger, endosse un hoqueton, Fait sa houlette d'un bâton, Sans oublier la Cornemuse. Pour pousser jusqu'au bout la ruse, Il aurait volontiers écrit sur son chapeau : C'est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau. Sa personne étant ainsi faite Et ses pieds de devant posés sur sa houlette, Guillot le sycophante approche doucement. Guillot le vrai Guillot étendu sur l'herbette, Dormait alors profondément. Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette. La plupart des Brebis dormaient pareillement. L'hypocrite les laissa faire, Et pour pouvoir mener vers son fort les Brebis Il voulut ajouter la parole aux habits, Chose qu'il croyait nécessaire. Mais cela gâta son affaire, Il ne put du Pasteur contrefaire la voix. Le ton dont il parla fit retentir les bois, Et découvrit tout le mystère. Chacun se réveille à ce son, Les Brebis, le Chien, le Garçon. Le pauvre Loup, dans cet esclandre, Empêché par son hoqueton, Ne put ni fuir ni se défendre. Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre. Quiconque est Loup agisse en Loup : C'est le plus certain de beaucoup.
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Les Grenouilles qui demandent un roi
Les grenouilles se lassant De l'état Démocratique, Par leurs clameurs firent tant Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique. Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique : Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant Que la gent marécageuse, Gent fort sotte et fort peureuse, S'alla cacher sous les eaux, Dans les joncs, dans les roseaux, Dans les trous du marécage, Sans oser de longtemps regarder au visage Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau ; Or c'était un Soliveau, De qui la gravité fit peur à la première Qui de le voir s'aventurant Osa bien quitter sa tanière. Elle approcha, mais en tremblant. Une autre la suivit, une autre en fit autant, Il en vint une fourmilière ; Et leur troupe à la fin se rendit familière Jusqu'à sauter sur l'épaule du Roi. Le bon Sire le souffre, et se tient toujours coi. Jupin en a bientôt la cervelle rompue. Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue. Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue, Qui les croque, qui les tue, Qui les gobe à son plaisir, Et Grenouilles de se plaindre ; Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir A ses lois croit-il nous astreindre ? Vous avez dû premièrement Garder votre Gouvernement ; Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire Que votre premier roi fût débonnaire et doux : De celui-ci contentez-vous, De peur d'en rencontrer un pire.
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Le Renard et le Bouc
Capitaine Renard allait de compagnie Avec son ami Bouc des plus haut encornés. Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez ; L'autre était passé maître en fait de tromperie. La soif les obligea de descendre en un puits. Là chacun d'eux se désaltère. Après qu'abondamment tous deux en eurent pris, Le Renard dit au Bouc : Que ferons-nous, compère ? Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici. Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi : Mets-les contre le mur. Le long de ton échine Je grimperai premièrement ; Puis sur tes cornes m'élevant, A l'aide de cette machine, De ce lieu-ci je sortirai, Après quoi je t'en tirerai. - Par ma barbe, dit l'autre, il est bon ; et je loue Les gens bien sensés comme toi. Je n'aurais jamais, quant à moi, Trouvé ce secret, je l'avoue. Le Renard sort du puits, laisse son compagnon, Et vous lui fait un beau sermon Pour l'exhorter à patience. Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence Autant de jugement que de barbe au menton, Tu n'aurais pas, à la légère, Descendu dans ce puits. Or, adieu, j'en suis hors. Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts : Car pour moi, j'ai certaine affaire Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin. En toute chose il faut considérer la fin.
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L'Aigle, la Laie, et la Chatte
L'Aigle avait ses petits au haut d'un arbre creux. La Laie au pied, la Chatte entre les deux ; Et sans s'incommoder, moyennant ce partage, Mères et nourrissons faisaient leur tripotage. La Chatte détruisit par sa fourbe l'accord. Elle grimpa chez l'Aigle, et lui dit : Notre mort (Au moins de nos enfants, car c'est tout un aux mères) Ne tardera possible guères. Voyez-vous à nos pieds fouir incessamment Cette maudite Laie, et creuser une mine ? C'est pour déraciner le chêne assurément, Et de nos nourrissons attirer la ruine. L'arbre tombant, ils seront dévorés : Qu'ils s'en tiennent pour assurés. S'il m'en restait un seul, j'adoucirais ma plainte. Au partir de ce lieu, qu'elle remplit de crainte, La perfide descend tout droit A l'endroit Où la Laie était en gésine. Ma bonne amie et ma voisine, Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis. L'aigle, si vous sortez, fondra sur vos petits : Obligez-moi de n'en rien dire : Son courroux tomberait sur moi. Dans cette autre famille ayant semé l'effroi, La Chatte en son trou se retire. L'Aigle n'ose sortir, ni pourvoir aux besoins De ses petits ; la Laie encore moins : Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins, Ce doit être celui d'éviter la famine. A demeurer chez soi l'une et l'autre s'obstine Pour secourir les siens dedans l'occasion : L'Oiseau Royal, en cas de mine, La Laie, en cas d'irruption. La faim détruisit tout : il ne resta personne De la gent Marcassine et de la gent Aiglonne, Qui n'allât de vie à trépas : Grand renfort pour Messieurs les Chats. Que ne sait point ourdir une langue traîtresse Par sa pernicieuse adresse ? Des malheurs qui sont sortis De la boîte de Pandore, Celui qu'à meilleur droit tout l'Univers abhorre, C'est la fourbe, à mon avis.
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L'Ivrogne et sa Femme
Chacun a son défaut où toujours il revient : Honte ni peur n'y remédie. Sur ce propos, d'un conte il me souvient : Je ne dis rien que je n'appuie De quelque exemple. Un suppôt de Bacchus Altérait sa santé, son esprit et sa bourse. Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course Qu'ils sont au bout de leurs écus. Un jour que celui-ci plein du jus de la treille, Avait laissé ses sens au fond d'une bouteille, Sa femme l'enferma dans un certain tombeau. Là les vapeurs du vin nouveau Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve L'attirail de la mort à l'entour de son corps : Un luminaire, un drap des morts. Oh ! dit-il, qu'est ceci ? Ma femme est-elle veuve ? Là-dessus, son épouse, en habit d'Alecton, Masquée et de sa voix contrefaisant le ton, Vient au prétendu mort, approche de sa bière, Lui présente un chaudeau propre pour Lucifer. L'Epoux alors ne doute en aucune manière Qu'il ne soit citoyen d'enfer. Quelle personne es-tu ? dit-il à ce fantôme. - La cellerière du royaume De Satan, reprit-elle ; et je porte à manger A ceux qu'enclôt la tombe noire. Le Mari repart sans songer : Tu ne leur portes point à boire ?
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